Un psychotrauma, ou traumatisme psychique, désigne une effraction brutale de l’appareil psychique provoquée par un événement que le sujet n’a pas pu anticiper, symboliser ni métaboliser au moment où il s’est produit.
Autrement dit, c’est une expérience qui dépasse les capacités de traitement émotionnel et cognitif d’un individu, et qui laisse dans la psyché une trace non intégrée, souvent sous forme d’images, de sensations ou de fragments corporels autonomes.
La confrontation à une situation violente, qu’il s’agisse de menaces directes à l’intégrité physique ou de dangers pesant sur des proches, peut engendrer ce que l’on nomme un psychotraumatisme, c’est à dire une perturbation de l’équilibre psychique, parfois brève et réversible, parfois profonde et durable. Les classifications psychiatriques n’ont reconnu formellement ces troubles qu’en 1980, avec l’intégration du concept d’état de stress post-traumatique (ESPT) dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-III), marquant une avancée majeure dans la compréhension clinique du trauma.
Pourtant, ce qui est souvent négligé, c’est que le psychotraumatisme ne se réduit pas à un diagnostic ou à un ensemble de symptômes. Il revêt des formes diverses :
- Le traumatisme simple, lié à un événement ponctuel et identifiable.
- Le traumatisme complexe, issu d’expositions répétées, prolongées ou intrusives, comme les violences chroniques, les abus ou les situations de guerre, et qui laisse des empreintes profondes sur le développement psychologique, les schémas relationnels et la régulation émotionnelle (Herman, 1992).
Comprendre ces nuances, c’est reconnaître que la réparation psychique ne passe pas seulement par l’oubli ou la suppression des souvenirs traumatiques, mais par une réorganisation progressive du lien entre corps, émotions et mémoire, en ouvrant des voies de résilience et de reconstruction.
Dans cette perspective, les méthodes contemporaines de prise en charge du psychotraumatisme, qu’il s’agisse de psychothérapies intégratives, de thérapies psycho-sensorielles, ou d’approches assistées par l’hypnose, visent à restaurer le dialogue entre l’expérience corporelle, la cognition et la conscience réflexive, offrant ainsi un cadre où la mémoire traumatique peut être confrontée, articulée et transformée.
L’étude des mécanismes psychiques et neurobiologiques sous-jacents, comme le rôle de l’amygdale, du cortex préfrontal et du « proto-soi » décrit par Antonio Damasio, éclaire cette dynamique complexe, soulignant l’exigence de vigilance, de formation et d’éthique chez les accompagnants.
Cet article propose d’explorer les contours du psychotraumatisme, ses manifestations cliniques, et les modalités de résolution éprouvées.
Travailler sur le psychotraumatisme exige bien sûr une formation approfondie, non seulement aux méthodes spécifiques de résolution traumatique, mais également à la psychopatologie, afin de reconnaître les manifestations variées du trauma et d’intervenir de manière adaptée. Au‑delà de la technique, la qualité de la relation thérapeutique est déterminante : il est essentiel d’établir un lien sécurisant et de rester attentif à l’attachement du sujet, à sa position dans la séance et à sa capacité à tolérer l’exploration de ses expériences. La traversée post‑traumatique n’est possible que si la personne est stabilisée et sent que l’espace thérapeutique est sûr. La profondeur et l’efficacité d’une intervention reposent largement sur cette sécurité relationnelle, la conscience qu’a le praticien de ses propres modèles d’attachement, ainsi que sa capacité à percevoir ceux du client, deviennent alors des outils essentiels, permettant de créer un cadre où l’exploration intérieure, la curiosité et la transformation sont possibles.
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Définition clinique et phénoménologique
Lors du traumatisme, il semblerait que le cortex préfrontal (chef d’orchestre rationnel pour faire bref) soit inhibé tandis que l’amygdale (centre d’alerte émotionnel) s’emballe, provoquant une sécrétion massive d’adrénaline et de cortisol, pour se protéger du risque vital que représente ce déferlement neurochimique, le cerveau déclenche alors la production de substances endogènes analogues à la morphine et à la kétamine, induisant une forme d’anesthésie émotionnelle. Cette disjonction neurobiologique “isole” l’amygdale, qui conserve la charge sensorielle et affective brute de l’événement, de l’hippocampe, dont la fonction est de contextualiser et de temporaliser l’expérience. Ainsi, les traces du choc ne sont pas intégrées dans la mémoire autobiographique : elles demeurent hors du temps, actives, prêtes à se rallumer sous forme de flashbacks, de cauchemars, de crises de panique ou autre, c’est ce que l’on nomme “la mémoire traumatique”.
Le psycho-trauma n’est donc pas seulement un souvenir douloureux, c’est une souffrance persistance du passé dans le présent.
Le sujet n’a pas vécu l’événement, il a été comme envahi par lui.
Cette effraction crée une dissociation entre les différents niveaux de l’expérience :
- le corps (qui a perçu et réagi),
- l’émotion (qui a été sidérée),
- Et enfin le langage (qui n’a pas pu nommer).
C’est pourquoi on parle souvent, à la suite de Pierre Janet, d’un fragment d’expérience non intégré, une part parasite ou hors langage, qui continue d’agir dans l’inconscient corporel du sujet.
Les événements traumatiques persistent dans la conscience sous leur forme brute, originelle, sensorielle (images, bruits, odeurs, perceptions, sensations…) et s’y imposent de manière intrusive, à la façon d’un corps étranger parasitaire.
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Le trauma à l’intersection du corps, de la conscience et du langage
Pierre Janet, un des pionnier de l’étude du trauma, conceptualise le traumatisme non seulement comme un événement perturbateur mais comme une véritable dissociation de la conscience, où certaines expériences échappent à l’intégration narrative et restent cantonnées à ce qu’il nomme des “tendances subconscientes”, ces fragments du vécu traumatique, trop intenses pour être assimilés par le sujet, se fixent dans la mémoire sensorielle et automatique, engendrant amnésie, automatismes moteurs, émotions non intégrées et réactions irrationnelles, de sorte qu’une part du moi demeure prisonnière de l’instant du choc, attachée à des images, sons, odeurs et tensions corporelles.
S.Freud rejoint cette perspective en décrivant le trauma comme une effraction des enveloppes psychiques : l’excitation brute de l’événement pénètre directement dans le psychisme sans filtre, créant un “corps étranger interne”, une charge d’excitation persistante qui résiste au refoulement et se manifeste par des répétitions et cauchemars.
J.Lacan complète ce tableau en soulignant l’atteinte au tissu symbolique : le traumatisme brise la continuité des signifiants, laissant le sujet confronté à un sensoriel non articulé par la parole, qui resurgit sous forme de flashs, de sensations ou d’actes manqués, révélant un réel qui échappe à la symbolisation.
François Lebigot (dont je parlerai plus tard), en prolongeant ce travail, insiste sur l’effroi originel : le trauma est cet instant où le sujet se retrouve sans mots ni appuis internes, et l’image traumatique agit comme une empreinte archaïque, un retour des traces pré-langagières du corps, un résidu du premier chaos du vivant qui persiste dans l’ici et maintenant du sujet. Ainsi, le trauma se définit à la croisée de la dissociation, de l’effraction psychique et de la rupture symbolique, laissant une part du sujet figée dans une expérience sensorielle primitive, non verbalisable mais néanmoins profondément agissante sur le psychisme et le corps.
Ainsi, le psycho-trauma peut être défini comme une triple rupture :
- Rupture du lien symbolique : le monde cesse d’avoir sens.
- Rupture du lien corporel, le corps devient étranger à lui-même.
- Rupture du lien temporel, le passé devient indéfiniment présent.
Il ne s’agit donc pas seulement d’un souvenir « douloureux », mais d’une altération du rapport à soi, à autrui et au monde.
L’événement n’est pas dans le passé : il se rejoue, car il n’a jamais été « joué » pour de bon.

La Thérapie Psycho-Sensorielle du Dr Marie-Claude Lénès et la vision du corps de Merleau-Ponty
Le travail thérapeutique consiste à traduire le sensoriel en symbolique, à traverser le vécu corporel pour retrouver la parole, à rétablir “la continuité” du sujet.
C’est précisément le sens de la Traversée Psycho-Sensorielle du Dr Marie-Claude Lénès : permettre au patient de revivre, dans un cadre sécurisé, la charge sensorielle du trauma afin de la transformer en mémoire intégrée.
Autrement dit, réinscrire le vécu indicible dans la trame du sens.
La Thérapie Psycho-Sensorielle (TPS) de Marie-Claude Lénès engage un geste fondamental, replacer le corps au centre de la guérison psychique.
Elle reprend les constats précédemment cités, mais les déplacent : la dissociation n’est pas seulement psychique, elle est sensorielle.
Ce “parasite hors langage” agit comme un corps étranger dans le flux perceptif, il interfère, se réactive à la moindre résonance sensorielle, et produit des réactions émotionnelles incontrôlées.
La TPS réactualise donc une intuition de la psychopathologie qui ne date pas d’hier : celle du “corps étranger interne”. Autrefois compris comme une charge pulsionnelle ou une représentation inconsciente, il est aujourd’hui revisité à la lumière des neurosciences et de la phénoménologie.
Dans cette perspective, le corps étranger interne n’est plus une image symbolique, ni un contenu psychique refoulé, c’est un fragment brut de réalité perceptive, une empreinte sensorielle non métabolisée. Autrement dit, une parcelle d’expérience qui n’a pas pu être digérée par la conscience au moment du choc.
Ce geste rejoint une révolution conceptuelle amorcée par Merleau-Ponty, Varela et les sciences contemporaines de la conscience.
Pour Merleau-Ponty, le corps n’est pas “une chose parmi les choses”, mais notre manière d’être au monde. Il est à la fois sentant et senti, présence charnelle qui fait advenir la réalité dans le champ de la perception.
Dans “Phénoménologie de la perception”, Merleau-Ponty écrit “notre corps est cet étrange objet qui utilise ses propres parties comme symbolique générale du monde et par lequel en conséquence nous pouvons fréquenter ce monde, le comprendre et lui trouver une signification.”
Quand je touche, je suis aussi touché ; quand je vois, je suis déjà vu par la lumière du monde.
Ainsi, la perception n’est pas la réception passive d’un monde déjà fait, mais un acte de co-création.
Chez lui, la construction du sens n’est pas un acte intellectuel, mais davantage un geste incarné, un dialogue entre le monde et la chair.
Le réel est toujours “en train de se faire”, dans la rencontre du sentir et du senti.
C’est cette continuité qu’ont en substance reprise des penseurs contemporains comme Francisco Varela, Evan Thompson ou Anil Seth :
Dans leur paradigme, la perception est une simulation active du monde, un acte de prédiction incarnée (embodied predictive coding).
Le cerveau, le corps et l’environnement forment une boucle : le monde n’est pas perçu “tel qu’il est”, mais “tel qu’il est vécu”.
De ce point de vue, lorsqu’un trauma effracte cette continuité, ce n’est donc pas seulement la mémoire qui se brise, mais le monde vécu lui-même.
Le sujet traumatisé se trouve expulsé du champ de sa propre incarnation, il perçoit sans habiter, il ressent sans comprendre, il vit sans être présent à sa vie.
La traversée psycho-sensorielle, tout comme certaines formes d’hypnose, cherchent précisément à rouvrir ce seuil, à restaurer la co-présence du corps et de la conscience dans l’expérience.
La séance de “Traversée Psycho-Sensorielle” vise dès lors à permettre au sujet de reprendre contact avec ce corps étranger, non pour le rejeter, mais pour l’intégrer, le transformer, en faire un élément vivant de soi.
Marie-Claude Lénès a élaboré une approche assez singulière qui à su aiguiser ma curiosité, la thérapie psycho-sensorielle, fondée sur un principe “d’affronter” l’expérience traumatique au lieu de la fuir, la traverser dans et par le corps, puis l’énoncer dans la parole, afin qu’elle retrouve sa place dans la trame vivante du sujet. Cette mise en mots et en sensations s’apparente à ce qu’Aristote appelait “la catharsis”, une purification des affects qui permet au sujet de se dégager de l’emprise du pathos par une compréhension intime et incarnée.
Mais, à mon sens, la portée de cette traversée excède la catharsis. Ce n’est pas seulement un soulagement, c’est une métanoïa incarnée, c’est-à-dire une véritable conversion du regard, un retournement du rapport à soi, à autrui et au monde. Le terme métanoïa, issu du grec metanoein (« changer d’esprit » ou « penser autrement »), désigne moins un simple changement d’opinion qu’une transformation ontologique de la conscience, un passage du subir au consentir, du fragment au sens, de la survie à la présence.
Le sujet n’en sort pas identique : il ne revient pas au “moi d’avant”, mais s’avance vers un soi réconcilié, conscient à la fois de sa vulnérabilité comme de sa puissance d’habiter le monde.
A noter que chez l’enfant, dont le langage demeure encore limité et pour qui l’expression symbolique passe plus aisément par l’image que par les mots, on privilégiera une approche projective fondée sur le “test des trois dessins de la famille” : d’abord la famille telle qu’elle était avant l’événement, puis au moment où celui-ci s’est produit, et enfin telle que l’enfant aimerait qu’elle soit à l’avenir.
Hypnose et TPS
Pour Lacan, le traumatisme représente une faille dans la chaîne signifiante : un point où le langage échoue à symboliser le réel.
Marie-Claude Lénès s’appuie implicitement sur cette intuition : lorsque le signifiant échoue, le sujet est jeté dans la nudité du sensible.
Mais là où Lacan situe ce réel dans l’ordre du langage, Lénès le situe davantage dans le corps.
La Traversée Psycho-Sensorielle pourrait alors être interprétée comme un acte de ré-symbolisation du réel sensoriel.
En revisitant le moment d’effraction, non par la parole d’abord mais par la perception (vue, toucher, respiration, rythme…), le sujet rouvre la possibilité de nouer ce qui avait été disjoint : le corps, le sens, et la parole.
Par ailleurs, je trouve que la TPS, bien que je ne sois pas formée à cette pratique spécifique, présente de nombreux points communs avec la manière dont Jérémy Nouen aborde le travail du trauma à travers l’hypnose.
Article complémentaire : A la lumière de nos traumas , Jérémy Nouen
Le but de la manœuvre étant, grâce à un rapport étroit avec le sujet, de l’amener à se focaliser sur ce qu’il ressent déjà en augmentant le process introspectif, en l’invitant non pas nécessairement à raconter mais davantage à ressentir. Ce qui rapproche profondément la TPS de Marie-Claude Lénès de la démarche de Jérémy Nouen, c’est cette même conviction que le trauma ne se résout pas par la seule parole, mais par une ré-expérience sensible et incarnée. L’un comme l’autre considèrent que le traumatisme enferme le sujet dans un fragment de réel non intégré et que la guérison passe par la remise en mouvement de la perception, par le langage du corps avant celui des mots.
Chez J. Nouen, l’hypnose devient ce lieu de passage : un espace où la conscience se desserre, où la mémoire sensorielle peut se rejouer et où les sensations figées trouvent enfin à se transformer.
De la même manière, la TPS cherche, par la traversée des sensations, la respiration, le rythme, l’appuis, le mouvement…à ré-symboliser le vécu, à redonner du sens là où il n’y avait plus bien souvent plus que de la sidération.
Dans les deux approches, le thérapeute n’impose pas une interprétation, il accompagne la réouverture du lien entre le corps, le sens et la parole. Il s’agit moins de comprendre que de laisser émerger, moins d’expliquer que d’habiter à nouveau son expérience.
C’est pourquoi ces pratiques, bien qu’issues de cadres conceptuels différents, participent d’un même geste, à savoir celui d’une clinique du vivant, où le sujet retrouve, au cœur même de la blessure, la possibilité d’un sens incarné.
Ainsi, la TPS accomplit ce que la psychanalyse esquissait : une reliance du symbolique et du sensoriel, une reprise de la chaîne signifiante à partir du corps vécu.
TPS et neurosciences
La Traversée Psycho-Sensorielle ne vise pas à effacer les traces du trauma, comme on tenterait d’effacer une erreur, mais à rétablir une continuité vivante entre le corps, le cerveau et la conscience. Elle cherche à restaurer ce que le choc a brisé : la boucle sensorielle par laquelle les perceptions, les émotions et les représentations s’intègrent dans une unité expérientielle cohérente.
Le traumatisme, dans cette perspective, n’est pas seulement un souvenir douloureux, mais une rupture du couplage sensori-affectif, autrement dit, une déconnexion entre ce que le corps ressent et ce que la conscience peut en symboliser. C’est cette déliaison qui produit l’impression d’étrangeté à soi, ce sentiment d’être présent sans être incarné, de » vivre sans habiter sa vie”.
Les travaux du neurologue Antonio Damasio confirment cette intuition.
Article complémentaire : L’erreur de Descartes, La raison des émotions par Antonio R. Damasio
Dans ses ouvrages majeurs, L’erreur de Descartes (1994), Le sentiment même de soi (1999), ou encore L’ordre étrange des choses (2017), il montre que les émotions et les états corporels sont au fondement même de la conscience. Les marqueurs somatiques, ces signaux physiologiques associés aux émotions (modifications du rythme cardiaque, tension musculaire, respiration, température, etc.), guident la prise de décision, la mémoire et la perception de soi. Ils forment la trame affective sur laquelle se tisse la conscience. Lorsque cette trame est rompue, comme dans le traumatisme, la conscience se décharne, elle perd son ancrage corporel, sa consistance émotionnelle et sa capacité à relier le vécu présent à une continuité intérieure.
C’est précisément ce que Lénès nomme le “témoin désincarné” : un sujet dont la conscience reste active, mais comme détachée de son substrat sensoriel. Il pense, agit, observe, mais ne ressent plus. La TPS intervient alors comme un processus de reliement incarné : elle rétablit la communication entre les couches sensorielles primitives et la conscience réflexive. Ce faisant, elle opère une véritable reconstruction de la subjectivité, où le corps redevient non pas un simple support, mais le lieu même de la présence à soi et au monde.
François Lebigot : l’effroi et l’image originaire
François Lebigot, psychiatre et psychanalyste, a précisé la dimension imaginale du trauma.
Pour lui, l’effroi ne produit pas seulement un affect, mais une image traumatique, c’est-à-dire une représentation qui a des affinités avec l’originaire : ce qui, dans la psyché, précède le langage et la différenciation du sujet.
Cette « image originaire » est à la fois fascinante et terrifiante, car elle ramène le sujet au seuil de son existence : à la limite entre le vivre et le mourir, entre le sens et le chaos.
C’est précisément cette zone qu’explore la Traversée Psycho-Sensorielle, celle de la vision intérieure, là où le sensoriel rejoint l’archétypal.
Là où Lebigot parle d’image originaire, Lénès parle pour sa part de bloc sensoriel originaire, une matrice de sensations à la fois archaïques et vivantes.
La séance de traversée n’a pas pour but d’abolir cette image, mais de l’habiter autrement, de la traverser pour en extraire un nouveau sens vécu.
On pourrait dire que la TPS réalise, dans le champ clinique, ce que la phénoménologie appelle une réduction, un retour à “la chose même”, ici la chose sensorielle originaire, non pour s’y perdre, mais pour en révéler la structure et la libérer de sa compulsion répétitive.
Ainsi, la Traversée devient un acte de libération, elle ne chasse pas le passé, elle le transfigure. Le corps, au lieu d’être le lieu du trauma, redevient le lieu de passage du sens
Du trauma dissocié à la traversée intégrative, un lien vers l’anthropologie du rite de passage
En reliant Janet, Freud, Lacan et Lebigot, la TPS propose une synthèse remarquable :
Ces approches convergent vers une même idée, la souffrance traumatique réside dans l’impossibilité d’articuler le réel sensoriel à la parole symbolique.
La guérison, elle, consiste en une réintégration de cette part sensorielle hors langage, dans un récit vivant, incarné, partagé.
Ainsi, la Traversée Psycho-Sensorielle devient un rite de passage thérapeutique : un mouvement du corps vers la parole, du sensoriel brut vers la signification, de la répétition vers la création, en d’autre terme une occasion de sortir d’un boucle de rétroaction délétère pour le sujet.
Dans nos sociétés sécularisées, la TPS pourrait être comprise comme une forme moderne et laïcisée de rite de passage.
Elle ne s’adresse plus à des dieux ni à des esprits, mais à cette même exigence anthropologique que l’on rencontre depuis la nuit des temps, traverser pour se transformer.
Le thérapeute en devient alors le gardien de seuil, le passeur, celui qui veille à ce que la traversée du chaos corporel débouche sur un nouveau sens vécu, et non sur une répétition inadéquate.
Ce passage, qui se joue au cœur de l’expérience sensorielle, rejoint ce que tant de cultures ont reconnu comme un archétype anthropologique, à savoir la nécessité de traverser une épreuve pour renaître autrement à soi-même.
L’anthropologue Arnold van Gennep, dans Les Rites de passage (1909), montrait que tout passage significatif (naissance, initiation, mariage, mort…), s’organise en trois temps :
- La séparation : le sujet quitte un état ancien (symboliquement ou réellement).
- La liminalité : il entre dans un espace-temps suspendu, “entre deux mondes”, où les repères ordinaires se dissolvent.
- La réintégration : il revient transformé, réinscrit dans un nouvel ordre symbolique.
Or, la Traversée Psycho-Sensorielle semble épouser exactement cette logique.
Le moment d’effraction initial correspond à une séparation brutale, la rupture du lien entre corps, sens et parole.
La séance de traversée elle-même représente la phase liminale : un espace suspendu, hors du temps, où le sujet se confronte à ce qui a été refoulé, mais dans un cadre sécurisant.
Enfin, la ré-symbolisation du vécu marque la réintégration : l’expérience retrouve une place dans la narration de soi, le trauma devient source de sens et non plus de répétition.
La TPS, (tout comme la séance d’hypnose telle que je la pratique dans ce cadre) n’est pas seulement une simple technique thérapeutique, elle répond à un besoin universel de passage, celui de réconcilier le corps et la conscience. Elle réactualise, au cœur même de la clinique contemporaine, une sagesse immémoriale.
“C’est le fait même de vivre qui nécessite les passages successifs d’une société spéciale à une autre et d’une situation sociale à une autre : en sorte que la vie individuelle consiste en une succession d’étapes dont les fins et commencements forment des ensembles de même ordre : naissance, puberté sociale, mariage, paternité, progression de classe, spécialisation d’occupation, mort.
Et à chacun de ces ensembles se rapportent des cérémonies dont l’objet est identique : faire passer l’individu d’une situation déterminée à une autre situation tout aussi déterminée. L’objet étant le même, il est de toute nécessité que les moyens pour l’atteindre soient, sinon
identiques dans le détail, du moins analogues, l’individu s’étant du reste modifié puisqu’il a derrière lui plusieurs étapes et qu’il a franchi plusieurs frontières. D’où la ressemblance générale des cérémonies de la naissance, de l’enfance, de la puberté sociale, des fiançailles, du mariage, de la grossesse, de la paternité, de l’initiation aux sociétés religieuses et des funérailles.
En outre, ni l’individu, ni la société ne sont indépendants de la nature, de l’univers, lequel est lui aussi soumis à des rythmes qui ont leur contrecoup sur la vie humaine. Dans l’univers aussi, il y a des étapes et des moments de passage, des marches en avant et des stades d’arrêt relatif, de suspension.
Aussi doit-on rattacher aux cérémonies de passage humaines, celles qui se rapportent
aux passages cosmiques : d’un mois à l’autre (cérémonies de la pleine lune, par exemple) d’une saison à l’autre (solstices, équinoxes), d’une année à l’autre (Jour de l’An, etc.).”Arnold van Gennep, LES RITES DE PASSAGE, p.13
Conclusion : Vers des méthodes thérapeutiques plus incarnées
Le psychiatre Thomas Fuchs, parle du trauma comme d’une “pétrification du temps vécu”.
La présence se fige dans une boucle, le monde devient immobile.
Toute thérapie véritable doit donc viser non pas l’éradication du symptôme, mais la re-temporalisation du vécu : rendre de nouveau habitable l’instant.
Et c’est à mon sens exactement ce que propose la TPS tout comme certaines méthodes d’hypnose : le thérapeute, par sa présence, rend possible l’espace de la rencontre où le sujet peut rejoindre et moduler son excès sensoriel et le transformer en signification.
De ce point de vue, le cerveau ne fonctionne pas seul dans sa boîte crânienne, il travaille en lien étroit avec tout le corps, qu’il aide à rester en équilibre.
Cette communication permanente entre le cerveau, le corps et le monde crée une première forme de conscience très basique, une sorte de sentiment du corps vivant, de soi minimal, que Damasio nomme le proto-soi.
Le proto-soi est le sentiment implicite et non réfléchi du corps vivant : une conscience incarnée minimale, enracinée dans la régulation biologique du vivant.
C’est à partir de cette conscience corporelle élémentaire que se construisent ensuite des formes plus complexes de pensée et d’identité.
Contrairement à l’idée que la conscience suppose des représentations mentales (images, pensées, souvenirs), Damasio montre ici que le proto-soi est pré-représentationnel.
Ces approches sensorielles du psychotraumatisme s’inscrivent dans une vision élargie de la psyché humaine, à la croisée de la phénoménologie et des neurosciences.
Le trauma n’est plus seulement vu comme un dérèglement psychique, mais un échec de la perception intégrative : la conscience, saturée, se retire, laissant le monde imprimé dans le corps comme une empreinte aveugle.
Ainsi, le traumatisme peut être compris non comme une lésion psychique localisée, mais comme une rupture des boucles vivantes qui relient le corps, le cerveau et le monde. Cette désynchronisation du vivant, où la conscience se désincarne et le temps vécu se fige, trouve sa résolution non dans l’effacement des traces, mais dans la restauration de la résonance écologique du soi. Les approches incarnées telles que la Théorie Psycho-Sensorielle ou l’hypnose, lorsqu’elles sont pratiquées avec rigueur et conscience des mécanismes à l’œuvre, permettent précisément de rétablir ces boucles sensori-affectives : elles réancrent la personne dans son corps, rouvrent le champ de la présence et rétablissent la continuité du vécu. La guérison du trauma apparaît alors comme un processus de “re-synchronisation du vivant”, où la relation thérapeutique devient le milieu même de la réparation, un espace où le corps, la conscience et le monde recommencent à respirer ensemble.
La tâche du thérapeute devient alors celle d’un accompagnateur de la traversée :
aider le sujet à redevenir voyant de son propre corps, à transformer le sensible muet en sens signifiant.
L’acte thérapeutique n’est plus seulement de dire, mais d’éprouver en présence, de réanimer le lien entre perception, émotion et langage.
Sylvain Gammacurta
Lien vers le site du Docteur Marie-Claude Lénès : https://tps-formations.fr/
Lien vers le site de Jeremy Nouen : https://jeremynouen.fr/
Les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) et les structures de soins